jeudi 2 octobre 2008

Baja California

Nuit de samedi à la Paz.
Vers 23h on monte la tente sur la plage, enfin sur une bande de sable entre la mer et le malecón (ce boulevard criant de moteurs où transitent des cohortes de jeunes). Le trafic est lent : ça bouchonne pour aller en boîte. Mais on choisit quand même ce bivouac précaire, faute de mieux.
On enfile nos pyjamas, mais pas mon sac de couchage en ce qui me concerne, puisque je l’ai oublié à Creel. Un de plus! Eh oui, on sème beaucoup de choses quand on voyage : combien de chapeaux oubliés dans des bus? de pulls perdus à l'aéroport? de T-shirts? d'appareils photo? Qui sait, je suis peut-être le premier fournisseur d' "Objets Trouvés" dans le monde.
En attendant, ça roupille déjà à côté de moi. Et soudain, ce qui devait arriver arrive. Les policiers de ronde braquent leur faisceau sur notre tente. J’enlève mes boules Kies et m’extrais péniblement, l’air penaud dans mon pyjama.
J'ai affaire à des hommes de peu de mots. Je tente d'abord la feinte. Quoi? Le camping sauvage c'est interdit?!
« D’où venez-vous ? Pour combien de temps êtes-vous à la Paz ? Quelle est votre destination finale ? » J’explique qu’on reste qu’une nuit, qu’il n’y a pas de camping à la Paz et que pour des gens de passage il n’y a guère que la plage…
Ca va pour cette fois. Sursis d’une nuit, mais qu’on ne vous y reprenne plus ! Faites quand même gaffe à vous, car le samedi il y a du desmadre par ici.
Je suis scié.
Ils n’ont même pas osé me demander une mordida (ce bakchich en cash qu’on donne partout ailleurs au Mexique pour acheter le silence de la police). Je réalise que j’ai débarqué dans un endroit encore plus exotique que je ne le pensais…
C’est alors, autour de minuit, qu’on commence notre courte nuit, blottis en position fœtale sur 1m² ½ au milieu de sacs et d’habits épars. La brise chaude de l’après-midi est devenue martingale. J’ai des glaçons aux pieds. Le va et vient des vagues sur le sable ne suffit pas à me bercer. Peu à peu, les serins noctambules se font evanescents...
Et puis rien.
A 7h le soleil me réveille. J’émerge à tâtons dans un paysage de velours, dans un air encore frais et doux comme la goyave, que le soleil levant teinte d’un subtile rose orangé. J’aide gentiment Jo à finir sa nuit.
On plie la tente en silence pour ne pas brusquer nos idées. A ses heures là, on a l'impression de surprendre le monde entier! Chaque maison a encore les paupières lourdes, les rues sont inertes, la lune tarde à se rhabiller de bleu.
La mer me calme. Elle vous suggère un état délicieux, même agitée. Soudain, j’ai les idées claires. Comme l’eau vive, je suis alors en surface ce que je suis au fond. Comme l’eau vive je bois l’écume des jours. On se met ensuite en marche vers la sortie de la ville.
En trouvant La Paz, nous avons retrouvé la paix. Celle que l’agacement et la fébrilité du voyage en ferry nous avaient volée. Il faut dire aussi que nous n’avions pas vu la mer jusqu’ici.

le camping improvisé

Faire du stop pour pouvoir se payer de la bière

Bahia Concepcion


l'osito Bimbo qui tire la langue comme une grosse bimbo



Chose promie chose due, la voilà la bière


Chihuahua avec jo et anaïs

«Pasele. Habitaciones con baño privado. Nuevo Hotel Plaza. Ambiente Familiar. Precios económicos ! ROOMS WITH PRIVATED SHOWER-LOW PRICE»
Jo et moi tombons en pâmoison devant cet hôtel bourré de qualités. Et juste derrière la cathédrale! Le guide du Routard s’est vraiment pas foutu de nous ! Pour tout français un tant soit peu familiarisé avec le guide Michelin, la seule lecture du mot "Plaza" entraîne l’émoi. Il rappelle à notre imaginaire collectif le Plaza Athénée, ce palace parisien de démesure.
Sauf que… (un cours de civilisation mexicaine s’impose)
Ambiente familiar veut dire que la nuit on entend des bébés brailler depuis les appartements du dessus et que l'endroit est infesté de blattes. Les cafards se croient chez mémé. Et chacun fait le ménage dans sa chambre. Et puis quoi encore, on n’est pas à l’hôtel !
Notre chambre a la jaunisse. Tout est d’un autre âge. Meubles et murs donnent l’impression d’être fatigués par leurs vies précédentes. Le souffle tiède qu'exhalent les tiroirs et les placards est celui d’une bouche aux dents pourries!
Le moindre détail surprend. La télé (un fossile avec boîtier en bois) est alimentée par un cordon raccordé au lustre qui pend du plafond. La chaise en métal brillant recouvert de skaï rouge semble attendre l’entrée d’un boxeur. Une serviette blanche dort sur le dossier. Il s’en épongera le front et ressortira du vestiaire, ce lieu de passage qui vous précipite dans le match car pour rien au monde on n’y resterait UNE seconde de plus.
La tringle à rideaux plie sous le poids des voilages, et le parquet sous nos pas.
L’endroit vit. On voit ses yeux à travers les trous pratiqués dans chaque porte, là où se trouvaient peut être un jour des serrures. La soufflerie le remplit d’une fraîcheur de morgue. Le tout sous un jour blafard.
Mais peu nous importe de passer la nuit dans cette imposture déguisée en chambre à coucher. Le rire s'empare de nous. Les taies d’oreillers en plastique, la douche (« privatisée » comme dit l’annonce), la réaction prévisible d’anaïs…
Suivre son instinct de survie = Prendre la tangente
Une nuit passée à se calfeutrer dans nos sacs de couchage pour éviter les éboulements de cucarachas nous en convaincra ! Sérieusement, c'est à peine si j'osais ouvrir la bouche pour respirer !
En route pour le CHEPE tchou tchouuuu

Sinon Chihuahua, c'était comme ça :

et aussi comme ça:

et parfois même comme ça:

et alors ça, c'est vraiment pas souvent mais ça arrive:


"sortie de secours"
beau message hein?



mercredi 21 mai 2008

On inspire un grand coup et... GO!

Il est 17h. L’école est finie. Je n’ai plus devant moi que deux épreuves sans enjeu. J’ai déjà un pied (et la tête) en vacances. Mais comme je traine encore un petit boulet qui m’empêche de voyager avant le 9 juin, je vais me contenter de voyager dans le temps et d’évoquer les jours heureux partagés avec maman du 7 au 19 avril.
Je vous dispenserai de la lecture intégrale de mes notes de voyage, car elles contiennent beaucoup de détails barbants uniquement destinés à réactiver ma mémoire dans quelques années. Moments choisis :

Jeudi 10 – Oaxaca :

Réveil à 7h30. On se met en marche vers la Plaza de la Danza. On tire du sac 2 mangues, 2 avocats et quelques croûtons de pain rassis, que nous savourons perchés sur les gradins d’un théâtre à ciel ouvert, baignés par le soleil du matin. Des militaires en uniformes, leurs armes à la ceinture, improvisent un terrain de foot. Soudain, le ballon, propulsé à toute vitesse dans les cages, finit sa course dans le patio de la mairie. Et ça amuse tout le monde, évidemment ! On poursuit notre marche vers le Sud de la ville, où nous attend le bus de 9h pour Monte Alban. Une fille de l’agence de tourisme nous met le grappin dessus quelques rues plus haut et nous y conduit.
9h30 : arrivée sur le site de Monte Alban. Première impression : pourquoi on s’entend pas parler ? Réponse : parce que les criquets qui s’égosillent tous en chœur ont décidé de nous en mettre plein l’ouïe. Leur chant était tellement puissant qu’on pensait que le bruit venait d’un moteur ou d’un tracteur. Vidéo à l’appui (on verra si je peux la charger sur le blog).
Le site, perché au sommet d’une montagne, domine trois vallées que l’on distingue très nettement, au Nord-Ouest, à l’Est et au Sud. C’est de ces vallées que les Zapothèques de Monte Alban tiraient leurs richesses : les bois, les cultures (maïs et fruits), les métaux (surtout le cuivre), les animaux (viandes, os, peaux), leur eau, etc. En outre, cette position de carrefour leur a permis de développer des routes commerciales avec toute la région sud de l’actuel Mexique. Mais de quelle époque parle-t-on au juste ? création = 500 av J-C / apogée = 500 ap J-C.
Après le terrain de jeu de balle, nous arrivons en face des escaliers du Palacio, percés en leur milieu d’une trappe rectangulaire, qui le 8 mai de chaque année, laisse passer la lumière du soleil dans la crypte. Plus loin, les pierres de la conquête (lápidas de la conquista) représentent des scènes de soumission de peuples préhispaniques par les zapothèques (et non pas par les espagnols). Le peuple conquis, représenté par une tête, est écrasé par une croix, emblème de Monte Alban. Le message est clair ? On a peut être l’air gentil avec nos jupes en plumes et nos masques de jaguar, mais ici la loi c’est celle du plus fort.
Là, un type s’acharne à nous vendre des masques en pierres presque précieuses (jade, obsidienne, etc.), des copies d’ornements funéraires trouvés dans les tombes des hauts dignitaires mixtèques (période tardive). Il dégaine fièrement sa carte d’artisan, exhibe ses mains râpées et enflées par le pénible labeur, autant de gages de l’authenticité de la marchandise. Une fois tous les masques sortis de sa besace, il vide le sac de sa vie : tous les matins, il vient vendre sa production personnelle sur le site archéologique, car ouvrir une boutique d’artisanat engendre bien plus de frais qu’il ne peut en supporter. Passer par un intermédiaire fait gonfler les prix et réduit les ventes (une boutique en ville qui achète à différents artisans et revend plus cher). Alors il fait le voyage quotidiennement depuis son petit village, qu’il désigne du doigt, là-bas dans la vallée. Après l’almuerzo (déjeuner à 14h), il retourne à son atelier pour travailler les pierres et assembler les masques. Il va chercher les pierres lui-même à la mine, puis les taille au biseau et les polit à la main. Il récupère la poussière pour la mélanger à de la résine, obtenant ainsi une colle de même teinte que les pierres utilisées pour l’assemblage du masque. Je repousse ses offres, prétextant la banqueroute.
On grimpe au sommet de l’édifice le plus haut. Posés sur la dernière marche, on contemple l’esplanade sacrée qui s’étend à nos pieds. Là, c’est au tour d’un vendeur de terres cuites de nous chanter les louanges d’une statuette qu’il tient dans sa main. Il prétend être cultivateur de maïs dans un village des environs. En retournant la terre, il retrouve fréquemment des objets de valeur tels que cette statuette olmèque. Bizarrement, le type n’a rien d’un agriculteur mais tout d’un commerçant (ses mains, sa façon de s’exprimer, de baragouiner le français et l’anglais, de faire du charme aux dames fortunées). Il a des amis en France et en Italie, dont un collectionneur – et grand amateur d’art bien sûr – qui lui achète des pièces très régulièrement. Agacés, on tente une fuite. Il baisse le prix à 100 $. J’éclate de rire ! On ne trouve généralement de mauvais acteurs si talentueux que dans les telenovelas. Quinze minutes plus tard, il brade son trésor à 20 $, puis, désespéré, nous le cède pour 10 ! Je fouille dans ma poche et lui tend malgré le fou rire une grosse pièce jaune. Marché conclu.

De retour en ville, on lape quelques sorbets sur la place de l’ancien couvent Santo Domingo : leche quemada, nuez, et beso oaxaqueño (papaya, melon, guanabana). On flâne ensuite au petit marché d’artisanat de la Plaza Alcala. Pause lecture sur un banc à l’ombre. A cet instant précis, la vierge de Guadalupe m’est cinq fois apparue: sur l’étalage d’un brocanteur (dans un autel et un plateau à son effigie), sur le tatouage du vendeur de xicaletas, sur l’écriteau de la Plaza Virgenes, et enfin dans les paroles de la chanson mexicaine que j’écoute distraitement sur mon ipod. Mais qui exhale donc cette odeur de sainteté ?


Vendredi 11 – San Cristobal de las Casas:

Après un brin de toilette, nous nous égarons dans le dédale des rues de San Cristobal, bordées de maisons basses aux couleurs chaudes. Sur le parvis de la cathédrale JAUNE et ROUGE (!), nous observons la ville et ses habitants au réveil. Il fait encore bien froid, là-haut à 2 300 m. Un pull à capuche fait tout juste l’affaire. On se réchauffe autour d’un petit déjeuner traditionnel du Chiapas. Œufs Rancheros sur tortilla et sauce piquante, compote mangue-pomme-melon-papaye, accompagnés de l’or noir du terroir : le café. ¡Ayyy dios mío!
Dehors, nous consacrons un moment à observer avec amusement les provocations d’une cohorte de fillettes. Embarquées à l’arrière d’un pick-up, elles paradent autour d’une place où se sont réunis des garçons de leur âge. Chacun de leurs passages est l’occasion d’une salve de sifflements, de cris conquérants et de bousculades. En retour, ces demoiselles fraîchement vêtues gloussent et feignent l’effarouchement. On se délecte dans notre coin de cette ravissante comédie. Du pur folklore. J’ai envie de dire pour ma part que dans cette caricature du désir et de la séduction, leurs cœurs d’enfant encore chastes et ignorants apprivoisent leurs futurs transports… hmhm c’est cela oui… En tout cas, ça ne fait pas de doute, San Cristobal est un village !

Nous prenons la direction du marché municipal. En rasant les premiers « puestos », nous faisons la connaissance d’herbes médicinales, de potions et d’infusions. L’une d’elles retient mon attention : « DAMIANA de CALIFORNIA : Combate la impotencia sexual y la debilidad ». Si vous le dites ! Plus loin nous croisons :
- Une montagne de bougies accompagnées d’oraisons devant être prononcées pour obtenir différents résultats (para la buena suerte, corta-espanto, para el amor eterno, para la fertilidad, para la prosperidad, contra la infidelidad, para la bendición y la protección de los santos)
- Des poules vivantes, ligotées par les pattes, qui pendent aux bras de femmes indigènes
- Des dindons dans des cartons
- Des femmes portant des jupes en peau de chèvre noire non tannée, tous poils dehors, style « Neandertal »
- De nombreuses variétés de fruits et légumes : des chayotes (courges vertes ressemblant à des poivrons, vendues crues ou cuites à la vapeur dans de grandes cuves), des prunes oranges empilées en pyramides, des bananes miniatures, etc.
- Une boisson pétillante à base d’agave (bêrk, car non-alcoolisée), du coca produit au chiapas (miam)


Samedi 11 – San Cristobal (2):

Départ à 9h pour la rando à cheval qui nous emmènera à San Juan Chamula, un village indigène. Notre homme, un chiapaneco bourru et peu loquace, nous fait grimper dans son pick-up. Il nous conduit à son ranch et nous fait descendre dans une grande prairie où paissent ses chevaux. Maman enfourche Burrillo, le cheval le plus bas au garrot. Avec la chance que j’ai, le type me confie la plus haute monture, un certain « Barman » à la robe baie. Quelle poisse… Une pile de serpillères, de chutes de mousse synthétique et de couvertures permet de choyer mes fesses d’apprenti cavalier. Heureusement, à l’arrière de la selle, un large buttoir m’empêche de glisser. A l’avant, je cramponne mes mains au pommeau. Bref, ça ressemblait plus à un attelage de chameau.
Nous ne tardons pas à sortir du ranch et à faire claquer les sabots. Les trois allures sont sifflées par le guide. Ses bêtes lui obéissent à l’œil et à la langue avec une soumission impressionnante. Maman est un peu frustrée dans ses élans de cavalière autodidacte : sa monture refuse catégoriquement de se lancer au galop ! De mon côté j’essaye d’imiter les bruits utilisés par le guide (claquement de langue pour le trot et couinement des lèvres pour le galop). Sans succès.
On passe par des sous-bois, sentiers boueux et escarpés, truffés de pierres, longeant un ruisseau. Ca se bouscule pas… Puis la vue se dégage, on aperçoit une clairière, avant la vallée. Gravir la côte au galop en laissant derrière soi des nuages de sable restera l’instant magique de cette journée. Sentir la fougue du cheval sans pouvoir la dompter m’a donné des frissons assez géniaux…
On rejoint une route en bitume et les premières habitations. Les trois chevaux de tête, dont le mien et celui de maman, sont soudain pris de panique : un sac en plastique virevolte sur le chemin, gonflé par le vent. Burrillo rue, se cabre, fait demi-tour et s’emballe sur quelques mètres avant que le guide ne siffle et que maman n’en reprenne le contrôle. Le mien a eu peur mais ne s’est pas autant affolé. Un nouveau sentier en sable que je parcours au galop nous mène aux arbres où nous attacherons les chevaux à l’ombre pendant une heure, à quelques jets de pierre de San Juan Chamula.

Recommandations du guide : ne pas prendre de photos des gens ni de l’intérieur de l’église, au risque de se faire confisquer l’appareil. Maman, qui s’imaginait l’endroit miséreux, est frappée par le nombre de maisons en dur et de jardins bien entretenus. Des gens allument des fusées dans leur jardin, on entend des grosses détonations. C’est la guérilla qui reprend, raille le guide. Plus probablement des bougies d’anniversaire pour la radio évangéliste de San Cristobal qui fête sa première année d’existence, l’occasion de nombreuses fêtes dans les environs.
Nous arrivons sur la place principale de San Juan, avec son grand marché. A peine arrivé qu’un gosse qui répond au nom de Gustavo me harcèle avec ses bracelets. Je refuse de lui acheter quoi que ce soit mais il insiste et finit en désespoir de cause par m’en nouer un en vitesse autour du poignet. Entre temps, des fillettes ont rappliqué et saisi le bras de maman. S’ensuit un long moment pendant lequel je lutte pour lui rendre son maudit machin. Rien à faire. Je ne suis pas aidé par maman qui leur envoie des signaux favorables et finit par acheter une ceinture tissée bleue et verte. Je décide finalement de déposer le bracelet par terre et de m’en aller. Il prend un regard haineux et une moue de reproche avant de me lancer que je suis « méchant », *en français dans le texte ! Je trouve ça vraiment triste de corrompre des enfants de 5 ans à ce point.
L’entrée de l’église est payante. Je suis choqué par ça aussi, on a l’impression d’être à Disneyland et de troubler la vie de ce village. On voudrait passer inaperçu, se mettre dans un coin et observer cet endroit si différent, mais c’est impossible parce qu’ici tout le monde sait qu’on est là.
De l’intérieur, la nef de l’église est dépourvue de bancs tournés vers le chœur. A la place, le sol est recouvert d’herbe coupée, d’aiguilles de sapin, de bougies qui font une fumée monstre et exhalent une forte odeur. Des familles sont assises par terre autour de leurs bougies, prient à voix haute, boivent des sodas gazeux pour provoquer le rot (qui chasse les mauvaises pensées). Certains sont sur les côtés, tournés vers des autels dédiés à divers saints (statues richement habillées dans des vitrines), d’autres prient au centre. On glisse entre les familles, pendant que des types raclent le marbre pour ramasser les bouts de chandelles consumées. La décoration est très sobre, les murs sont nus, on voit la roche. Le contraste est grand avec les églises qu’on a pu visiter auparavant. Le seul mobilier qu’on y trouve : des tables de bois qui servent d’autels pour les saints, et des vitrines qui protègent les statues. Dans le chœur, Saint Jean-Baptiste trône au centre, Jésus à sa droite, un saint parmi d’autres… Au fond à gauche les fonds baptismaux témoignent de l’importance du saint patron.
Paraît-il que le dimanche, un prêtre blanc y célèbre des offices collectifs, tandis qu’en semaine ont lieu des cérémonies familiales au cours desquelles chacun vient prier le saint de son choix (selon les problèmes auxquels on est confronté, selon les demandes qu’on formule, selon le calendrier, etc.). L’extérieur de l’édifice est aussi très différent de tout ce qu’on a pu voir avant. Les murs sont blancs, enduits de chaux, dépourvus de sculptures. Le portail est surmonté de caissons très colorés aux motifs végétaux simples. Pas de scène biblique ni de personnage.

Avant de retourner à San Cristobal, nous faisons halte sur les marches du zocalo, face à l’église. Trois fillettes viennent faire la manche. L’une d’elles demande 1 peso. Je feins d’être surpris et lui demande de répéter. D’abord c’est quoi un peso, lui dis-je. De l’argent me répond-elle. Ah. Mais c’est que nous n’en possédons pas ma belle, nous vivons des fruits que nous cueillons et des habits qu’on veut bien nous prêter. La fillette, perplexe, n’a pas l’air de saisir. Elle me considère avec effarement. Je lui propose un mouchoir, à la place de l’argent. Les trois sont tout de suite très séduites par cette proposition, et se jettent sur le paquet. Elles ne se sont pas mouchées pour autant, mais se sont contentées de chiffonner ce schmilblick avec curiosité, puis sont reparties quelques secondes après en galopant… Au fond peut-être avaient-elles juste envie qu’on leur offre quelque chose, qu’on leur prête attention...
Le soir, nous courrons à l’hôtel sous une pluie battante, faisons nos sacs et libérons la chambre. Sous le porche, je tends la main dans l’espoir d’arrêter un taxi. Mais tous ont été pris d’assaut dès les premières gouttes ! Même ceux qui sont libres ne daignent pas s’arrêter… Sûrement la flemme de sortir pour nous ouvrir le coffre et charger les sacs. Je suis à deux doigts de m’agacer. Un d’eux finit quand même par s’arrêter. On fout les sacs à l’arrière. Maman et son k-way gouttent de partout. Mon chapeau de paille pue comme jamais.
Le bus pour Palenque fait les 5 heures de route à travers la jungle et les montagnes. Sur le chemin nous croisons des vaches bossues, des oiseaux préhistoriques, des dindons, etc. Quand la nuit tombe, le ciel se met à tonner, fendu par des éclairs formidables qui font le jour sur une jungle épaisse. On se sent tout petit.


Dimanche 13 - Palenque:

Palenque a été découvert en 1746 par des indigènes venus chasser et cueillir des fruits dans la forêt. En 1837 eurent lieu les première fouilles, en 1952 l’archéologue Alberto Ruz Lhuillier mit à jour la crypte du roi Pakal, et enfin en 1977 furent entrepris des travaux d’exhumation systématiques et de rénovation de 5% du site (le reste étant toujours engloutis sous la jungle). Cependant, l’ouverture aux visiteurs ne s’est pas faite avant 1993.
Palenque n’est pas le nom original de la cité maya mais un mot espagnol signifiant palissade. Son vrai nom est Lakamha : lieu où abonde l’eau. La cité a été élevée aux alentours de 100 av JC et a connu son âge d’or entre 630 et 740 apr JC. Le plus célèbre de ses rois fut sans doute Pakal qui régna de 615 à 683 apr JC et vécut jusqu’à l’âge record de 80 ans ! Pakal signifie bouclier solaire. La chute de la majestueuse cité vint au fil des guerres qui l’opposèrent aux autres cités mayas (Tonina, Tikal, Bonampak) en lutte pour la domination de l’espace maya. Après l’an 900 de notre ère, Palenque fut laissée à l’abandon. Dans une région qui reçoit le plus haut niveau de précipitations de tout le Mexique, les ruines ont rapidement été ensevelies sous une végétation luxuriante.
A son apogée, Palenque comptait entre 10 000 et 25 000 habitants, pour la plupart dispersés autour de l’enceinte sacrée aujourd’hui dégagée. La société de Palenque était profondément hiérarchisée : les sacerdoces détenaient le pouvoir religieux et administratif, les rois le pouvoir politique, et les illustres guerriers contrôlaient l’art du combat. Seules ces trois catégories pouvaient prétendre habiter les bâtiments de pierre richement décorés visitables aujourd’hui. Les autres (soldats, cultivateurs, artisans) vivaient pour l’essentiel dans des cabanes de bois et de palme réparties dans un très vaste périmètre. La première rangée d’édifices est une nécropole composée des éléments suivants :
- El Templo de la Muerte, dédié au dieu de la mort Ah-Puch. Le temple en lui-même est perché au sommet d’une volée d’escaliers. Un des piliers du temple est orné à la base d’une tête de mort en stuc. Les mayas fabriquaient leur stuc avec de la chaux, de la résine, de coquilles d’escargot réduites en poudre, et du sable. Une fois dur on le taillait pour faire des bas reliefs. Le stuc est beaucoup plus aisé à travailler que la pierre et jouit d’une grande longévité. La plupart des bas-reliefs était ensuite peinte, principalement à l’aide d’un pigment rouge obtenu en broyant des cochenilles, vers que l’on trouve dans le cactus.
- A gauche, le tombeau de la Reine Rouge renferme probablement le corps de la mère du roi Pakal, qu’on appelait Quetzal blanc. Le nom de Reine Rouge lui vient de ce que ses ossements ont pris la teinte rouge vif de l’enduit des parois intérieures du sarcophage, qui grâce à l’humidité, a imprégné le contenu du tombeau. La même humidité a rendu les pierres des murs vertes en surface ! Décidément, l’eau qui abonde ici est la cause de bien des choses. Le sarcophage très simple, aux parois très épaisses, a été taillé dans un unique bloc de pierre.
L’entrée initiale du tombeau se faisait par le Sud car les Mayas pensaient qu’ainsi le corps et l’âme de la défunte atteindraient plus vite l’inframonde. Les Mayas partageaient donc avec nous une conception verticale du monde, avec le même Nord et le même Sud ! La sépulture de la Reine Quetzal Blanc a cependant été découverte en 1994 par une ouverture du côté Nord de l’édifice. On attribue la trouvaille au mexicain Lhuillier mais en vérité elle devrait être attribuée à des indigènes. Le tombeau était un lieu de pèlerinage. On trouva plus de mille pièces de jade dans la chambre funéraire principale.
- Le Temple des Inscriptions, qui termine la nécropole, est le mausolée de Pakal. Les inscriptions ou bas-reliefs racontent l’histoire de Palenque et de la construction de l’édifice. On ne peut pas accéder au temple car la respiration des touristes (1 600 en moyenne par jour) risquerait de l’endommager sérieusement. L’escalier qui monte au temple comprend 73 marches. Celui qui descend au tombeau, à l’intérieur de la structure, en compte 77, ce qui signifie que le tombeau se trouve sous terre, mieux protégé des pillards.
On apprendra que Pakal avait un nez aquilin, prolongement parfait de la courbe de son front. Les enfants de la grande noblesse grandissaient avec un tuteur en bois qu’on fixait autour du crâne, de la nuque jusqu’au nez, pour que leur profil soit absolument lisse. On considérait ça comme un signe de noblesse et de bravoure.

Le Palacio est érigé sur le côté Est de la place. Il a des gradins plutôt que des marches. Le guide nous fait asseoir au sommet. Six jeunes guerriers se sacrifièrent à cet endroit en l’honneur de Pakal, selon un rite très spécial. Il faut distinguer le sacrifice de l’autosacrifice qui s’apparente à un suicide. Le sacrifice consiste seulement à faire don d’une partie de soi et de son âme, à travers le sang et la douleur. Ces braves guerriers s’étaient donc percés les oreilles, le cartilage du nez et les lèvres à l’aide d’os de poisson. Leur sang était recueilli dans un cuve, mélangé à de la résine et à divers parfums, avant d’être porté à gros bouillon ! Les odeurs et la fumée, médiums entre les hommes et le ciel, devaient gagner la protection des dieux. Pour bien comprendre la cosmologie maya, il convient d’observer le ceiba, l’arbre de vie. L’arbre comporte des échelons symbolisant les différentes étapes de l’au-delà :
- Les racines matérialisent l’inframonde, lieu de purification de l’esprit où il fait si froid et si sombre qu’on y perd son corps. Contrairement à la cosmovision chrétienne, l’inframonde n’a rien d’un enfer.
- Le tronc est divisé en 4 parties (la base, le 1er et 2ème étage, la cime) entrecoupées de volées de branches droites et symétriques, représentant des stades d’élévation successifs, la cime étant habitée par les dieux. Le tronc, niveau des vivants, est couvert d’épines que les mayas comparaient à des seins : ceux de la nature, mère de toute vie.
- Les mauvais esprits sont quant à eux condamnés à graviter éternellement autour de l’arbre.

De nombreux spécialistes soutiennent que les mayas n’étaient pas polythéistes mais monothéistes, les nombreuses divinités étant en fait des déclinaisons d’une force unique. Les mayas croyaient en outre que ceux qui pratiquaient l’autosacrifice étaient dispensés du passage par l’inframonde et accédaient directement au premier stade d’élévation, un peu à l’image des kamikazes islamistes à qui l’on promet l’entrée au paradis aux côtés de sept jeunes et superbes vierges.
Sous les voûtes du Palais pendent des chauves-souris. Des trous pratiqués dans les murs permettaient de tendre des peaux ou des tissus en guise de cloisons. Pour stabiliser les voûtes des édifices, les mayas de Palenque construisirent des peignes en pierre sur les toits. Dans la cour du Palais, on trouve des sanitaires pour hommes d’un côté, pour femmes de l’autre. Ces derniers n’étaient accessibles qu’aux prêtres, dont les femmes faisaient partie !
Plus loin, un temazcal (bain de vapeur des mayas). Sur un mur adjacent on peut admirer la stèle du sacre de Pakal. Le jeune roi se tient à droite de sa mère Quetzal Blanc coiffée des plumes de l’oiseau sacré et vêtue d’un précieux huipil. Elle passe une couronne à son fils, trônant sur un jaguar bicéphale, symbole de pouvoir et de dualité (actions positives et actions négatives). La main gauche sur le cœur et la droite désignant la terre, Pakal montre sa soumission. Un couloir conduit ensuite sous une arcade aux nombreux bas-reliefs. Ce sont les portraits des rois de Palenque. Malheureusement, la plupart ont été détruits par des pillards pensant trouver de l’or dans les murs du Palais comme les Espagnols à Teotihuacan. En vain…
Les différents peuples préhispaniques de Mésoamérique possédaient chacun leur langue et leur alphabet propres. Ils ne se comprenaient pas entre eux. Je m’étais pourtant toujours imaginé qu’ils parlaient plus ou moins la même langue. Il faut dire que d’une civilisation à l’autre les dieux ont souvent les mêmes noms, tandis que l’organisation sociale et les pratiques culturelles sont comparables voire identiques (jeu de balle, pyramides, astronomie, etc.). Cependant, on ne peut pas parler d’espace linguistique. Les dépositaires de ces différentes traditions linguistiques sont les actuels indigènes. Il ne faut surtout pas leur parler de dialectes car ce sont des langues à part entière, utilisées dans la vie de tous les jours, tous domaines d’activité confondus.

Une question me chatouille : pourquoi les marches des escaliers des édifices publics (nécropoles ou palais) sont-elles si hautes ? Ce détail laisse perplexe lorsqu’on sait que la taille moyenne d’un maya de l’époque classique variait entre 1.45 et 1.55 mètre. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la cause est tout aussi singulière que le résultat. Les fidèles étaient ainsi contraints de gravir les marches en zigzag plutôt que de face (ce qui est bien moins fatigant). En reproduisant ainsi les déplacements sinueux du serpent, ils rendaient hommage à l’animal sacré, symbole de renouveau et de régénération. Mais il semble qu’il y ait une autre raison : une fois en haut on ne peut redescendre que ventre au mur. Tourner le dos à un dieu, à un roi, à un temple, ou à un palais, serait bien trop irrespectueux. Bon sang, ces imbéciles de mayas ne pensaient donc jamais aux touristes ? Quelle poisse…
Sur ces entrefaites, on nous fait pénétrer dans l’ancienne chambre d’un couple de nobles, une pièce à alcôve avec lit double, sommier en pierre, jadis recouvert de houppe de coton brut en guise de matelas. Effectivement, on aperçoit près de la nécropole un grand arbre sur lequel poussent des épis de coton, un peu comme des fuseaux de métier à tisser enroulés de laine.
Tout à fait à l’Est se trouve le Groupe des Croix, un ensemble d’édifices dédiés à l’arbre de vie, dont la représentation simplifiée est une croix. Sur les murs du temple le plus haut, on peut admirer un vieux prêtre couvert de rides fumant la pipe (comme on l’a déjà dit, la fumée était un moyen privilégié de communiquer avec les dieux). Encore faut-il pouvoir y monter… Nos deux paires de guibolles chancellent drôlement après cette grimpette en plein cagnard ! Mais la vue en vaut la chandelle. Pendant que maman (au bord de l’insolation de la déshydratation et de la crise d’hypoglycémie) reprend son souffle, s’éponge le front et boit de tout son soûl, je fais une boulimie de photos. Je dois bien avouer que je l’ai forcée à monter... Bouuuh le méchant !
On observe en silence la vaste plaine qui commence à nos pieds et s’étend à perte de vue jusqu’au Golfe du Mexique. Derrière nous, prête à reprendre ses droits, l’insondable forêt et tous ses excès, son chaos, ses fleurs arrogantes, ses toucans qu’on entend claquer du bec, ses singes qui hurlent. Soudain un oiseau perce l’épaisseur. On dirait qu’il s’en extrait au prix d’immenses efforts. Son envol prompt ébranle la jungle, immobile et engourdie par la chaleur. Puis les battements d’ailes s’évanouissent à nouveau.
Derrière nous, la grande colline qui domine la jungle est en réalité une pyramide (la seule vraie pyramide de Palenque, en tétraèdre régulier) désormais ensevelie sous les lianes et les hévéas. Depuis le sommet, on pouvait anticiper les attaques et les invasions venant de la plaine comme de la forêt.
En descendant le Templo del Sol, on s’assoit sur des bancs de pierre à l’ombre. Un peu avant, un gros fruit est tombé de l’arbre, explosant par terre avec grand fracas et faisant sursauter tout le monde. Certaines ont même crié AHAHA Qu’elles sont bêtes !

On s’enfonce dans la forêt. Le guide nous met en garde : ici il y a des mygales et des serpents, interdiction d’aller faire mumuse hors du sentier pour chercher des fraises des bois. Dans cette jungle on trouve (à l’état sauvage bien entendu) :
- De minuscules bogues orange renfermant une graine molle et collante, riche en fécule, qui remplace le maïs dans l’alimentation des indigènes lorsque la récolte est mauvaise
- Des « Guasamores », petites goyaves baveuses au goût d’ananas, dont le jus colle aux lèvres, toxiques voire mortelles si l’on en mange trop
- Des fruits rouges allongés (type piments) à la pulpe blanche et poudreuse. Sucré et douceâtre. Imbroglio entre maman et le guide. Seule la pulpe a du goût, mais maman a compris de travers : elle se réserve les pépins et jette le reste. Je sens que son attention retombe après 2 heures de bavardage en VO non sous-titrée…
- Des xicamas (racines blanches, riches en eau, insipides et qui se mangent crues)
- Des fougères mâles et femelles (les mâles possèdent des graines sous les feuilles)
- De très hauts copals, ces arbres dont les troncs perdent leur écorce et qu’on surnomme « palos turistas » puisqu’ils pèlent comme tous ces visages pâles de passage au chiapas et au yucatan !
- Des arbres à caoutchouc qui ont cessé d’être travaillés (entaillés) dans les années 60 quand la zone est devenue Parc National (cela dit on voit encore nettement les balafres sur le tronc)
- D’immenses ficus, qui poussent du haut vers le bas contre les arbres et en épousent la forme. Cette espèce est dite « mata palos » (comprendre « constricteur ») car en se développant le ficus étouffe l’arbre et finit par le tuer.
- De gigantesques arbres à contreforts (a peu près la même morphologie qu’une fusée)
- Des enchevêtrements de lianes
- Des singes hurleurs (Tarzan n’est peut-être pas si loin…), macaques noirs, agiles et légers, de taille correcte (70 cm), sautant de branche en branche. On en a vu dévorer des feuilles et nous faire des appels du bras… une invitation à les rejoindre ???
- De nombreuses ruines enfouies, notamment le Groupe des Chauve-souris
- Des cascades cristallines dont la roche, arrondie et lissée par le flot continu, ressemble à des pillow-lavas
- Des quetzals et des ocelots aux abonnés absents… Pour les prendre en photo il faudra revenir

Je jette un coup d’œil à ma montre : tiens, notre guide a joué les prolongations pendant 30 minutes. Bénévolement ! Son zèle et son expertise lui valurent d’empocher un billet de plus. Erreur stratégique ! En marchandant le prix de départ, j’avais prétendu n’avoir que 500 pesos sur moi. En voyant le pourboire il s’est rendu compte de l’infâme supercherie…
De retour à l’hôtel, on se baigne dans la piscine. Quel bonheur… l’eau est chaude, les odeurs douces. On sent les fleurs et la bonne terre, les oiseaux gazouillent ! Après quelques longueurs mon corps sec et tendu par la marche devient léger. Nous nageons dans une explosion de paix… Nous laisserons ainsi passer une heure. Ou deux.


Lundi 14 – Cascades du Chiapas:

A Misol-Ha nous sortons du bus sous le crachin, en short et T-shirt. Le débit de la cascade est tellement puissant qu’on entend l’eau gronder à 200 mètres de distance. Une fois atteinte la lisière de la forêt, on peut admirer le bassin et sentir les projections d’eau sur la peau et les vêtements. Les pluies de la veille ont rendu la chute d’autant plus violente que la rivière se jette d’une hauteur vertigineuse. Le spectacle est à couper le souffle ! Des escaliers dévalent la pente et s’engouffrent dans la roche derrière la cascade. Le sang de maman ne fait qu’un tour. Chaud devant ! On n’est pas venus pour prendre des photos ! Saluons son K-way qui s’est brillamment illustré. Je quitte mon T-shirt, enfile mon maillot de bain, resserre mes sandales et fonce sous le titan en colère.
Sur la passerelle en bois, il faut avoir le pied marin pour ne pas glisser. L’impact de tous ces litres d’eau creuse et agite le bassin avec une force telle qu’on a du mal à ouvrir les yeux et à respirer autre chose que de l’eau. Le vacarme est assourdissant. On se croirait embarqué sur un radeau en pleine tempête et en plein océan. Tenter de s’y baigner, c’est creuser sa tombe.
Pendant les 30 secondes qu’il m’aura fallu pour remonter au sec, une averse s’est déclarée… Décidément, l’astre a la tête dans les nuages. Un chapiteau jaune abrite déjà deux cars de touristes français et mexicains bien emballés dans des ponchos de pluie ou sous des capuchons de mémés. Torse nu, en maillot de bain, je détonne. Je troque mon maillot contre un short, enfile mon T-shirt, me couvre les épaules d’une serviette de plage, coiffe mon sombrero en voie de putréfaction, et trace vers le parking à côté de maman.

Seconde étape : Agua Clara. N’a de clair que le nom. Cette fois ce n’est qu’un fleuve, traversé par un pont suspendu au niveau d’un méandre. De fait, l’eau est boueuse (couleur café au lait) et le temps maussade. Mais c’est presque mieux comme ça. En tout cas c’est beaucoup plus sauvage qu’une eau cristalline où miroiterait un soleil au zénith. Là, on s’imagine des crocodiles tapis près des berges, des bancs de piranhas dans les remous, des pirogues d’indigènes armés de sarbacanes au détour de la mangrove. Le ciel gris rend le lieu inhospitalier et angoissant. Comme si la nuit allait tomber d’un moment à l’autre, avec ses dangers, ses inconnues, ses nuées de moustiques voraces.
Cela dit, je n’ai pas tout inventé. Sur ce pont, le frisson est bien réel. Les planches sont à peine fixées, souvent fendues, parfois tombées, dévoilant alors sous nos pieds le tumulte du fleuve… On avance à tâtons, en essayant de rétablir un équilibre perturbé par des mexicains gras et un peu gauches.
Nous arrivons les premiers dans la camionnette. Deux fillettes, leurs corbeilles de fruits sous le bras, s’abritent de la pluie sous des étoles en laine.


… Suivirent encore beaucoup d’étapes (Tulum et la mer des caraïbes, Mexico, les musées, Frida Kahlo, etc) mais je n’ai plus le courage de les partager... je mettrai les photos quand elles arriveront !